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De Hérodote à Houdin
par
Yves Maneglia

Introduction

C
et ouvrage s'intéresse à la façon de construire une pyramide élevée telle que l'a été la pyramide de Khéops. De toutes les pyramides connues, y compris les pyramides aztèques, c'est la plus aboutie, tout le monde s'accordant à dire qu'elle aurait bénéficié des meilleures techniques de construction des bâtisseurs égyptiens de l'époque il y a plus de 4500 ans. La transmission du savoir des bâtisseurs ayant été perdue il y a au moins 2000 ans, on ne sait pas vraiment comment a été construite la pyramide de Khéops et de nombreuses théories ont vu le jour sans qu'aucune d'entre elles n'ait pu s'affirmer. Les autorités égyptiennes y sont peut être pour quelque chose, car en voulant préserver ce précieux héritage et peut être entretenir le mystère de Khéops, les études scientifiques sur place sont rares du fait de la difficulté d'obtenir les autorisations nécessaires. Si l'on écarte les problématiques de taillage et d'acheminement des pierres sur place, il y a deux écoles, celle du levage et celle du tractage. Dans la première école on privilégie les dispositifs de levage de blocs, tandis que dans la deuxième, on préfère la théorie des rampes qui suppose que les blocs auraient été transportés en hauteur par halage humain sur des chariots sans roue. Dans cette ouvrage les principales théories seront évoquées brièvement afin de voir les principaux problèmes connus qui en découlent. Afin de se faire sa propre opinion, certains problèmes seront étudiés par des calculs simples, accessibles à tout bachelier, ce qui reste la façon la plus objective d'appréhender le sujet. La ou les solutions trouvées ne reflétant pas forcément la réalité telle qu'elle a été mais telle qu'elle aurait pu être dans le meilleur des cas. C'est pour cela qu'il faut s'appuyer sur les observations faites des pyramides, dont la pyramide de Khéops, afin de voir ce qui est crédible ou peut donner lieu à d'autres hypothèses ou des compromis. Le but de cet ouvrage n'est pas d'étudier l'agencement interne de la pyramide de Khéops, même si l'on verra que parfois on sera amenés à comparer les niveaux intérieurs et extérieurs de cet ouvrage.

Evolution des tombes

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a géométrie des tombes égyptiennes a beaucoup changé au cours des siècles et les techniques de construction associées aussi. Il est important de connaître leur histoire car cela peut nous donner des indications sur le rapport qu'avaient les égyptiens avec la mort et la façon dont ils auraient pu construire des pyramides à faces lisses. Au début, les tombes étaient très discrètes, de simples puits qu'il suffisait de creuser, puis ces puits ont contenu une chambre funéraire et ont été recouverts par une construction aérienne rectangulaire ou carrée, en brique puis en pierre et que l'on appelle mastaba. Par la suite ces mastabas sont devenus plus imposants, symboles de la puissance du défunt, et ont été recouverts par des massifs empilés pour aller toujours plus haut et constituer des pyramides à degrés [1]. La première d'entre elles serait la pyramide de Djoser, haute de 62m, qui a été agrandie 2 fois, passant successivement de 1 à 4 puis 6 niveaux avec plusieurs puits dont un très large d'une trentaine de mètres de profondeur, au fond duquel se trouve un bloc de granite d'environ 3.5 tonnes. Par la suite, les puits qui menaient aux chambres souterraines semblent avoir été remplacés par des galeries descendantes, et au fil des évolutions, ces chambres se sont rapprochées de la surface et même bien au-delà, sous des constructions qui sont devenues des pyramides à faces lisses. La pyramide de Khéops, étant devenue la plus célèbre, de par ses dimensions pharaoniques, une pyramide à base carrée de 230m de côté, 146m de hauteur et constituée selon les estimations, d'environ 2 millions de blocs de 2 à 60T. A savoir qu'il existe deux pyramides particulières, la pyramide de Meïdoum qui est à la fois une pyramide à degrés et une pyramide à faces lisses, et la pyramide de Snéfrou qui est une pyramide rhomboïdale. La plupart de ces pyramides ayant été érigées sur le plateau de Gizeh, les autres à Sakkara, Zaouiet-el-Arian, Meïdoum et Dahchour, tout le monde s'accorde à dire que c'est sur place que provenaient la plupart des blocs, et que les autres pierres comme le granite ou les poutres étaient acheminées par bateaux circulant sur des canaux. Après l'âge d'or des pyramides, celles-ci sont devenues moins imposantes pour disparaître au profit d'hypogées, des constructions souterraines creusées dans la roche très décorées et tenues cachées des pilleurs de tombe, comme le tombeau de Toutânkhamon. Une partie du mystère de la pyramide de Khéops résidant dans le fait qu'elle a été violée et pillée plusieurs fois il y a longtemps, de sorte que les explorateurs occidentaux n'ont rien trouvé d'autre qu'un sarcophage vide. On ne sait pas vraiment à quoi ressemblait Khéops [2] et on cherche encore comme Houdin une hypothétique chambre cachée qui recèlerait des trésors comparables à ceux de Toutânkhamon. 

[1] A  la même époque chez les sumériens, à l'est de l'Egypte, il y avait des temples similaires à base carrée (en général de 30 à 60m de hauteur et jusqu'à une centaine de mètres de côté) mais construits en briques uniquement et non en pierre. Les sumériens appelaient ces constructions comparables à des montagnes des Ziggurats, sur lesquelles se trouvait un temple.

[2] Une seule petite statuette  attribuée à Khéops a été retrouvée

Les machines de levage

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es théories expliquant la construction des pyramides par l'utilisation de "machines" de levage sont les plus anciennes, elles sont apparues 5 siècles avant J.C. par Hérodote qui avait interrogé les prêtres égyptiens de l'époque par le biais de traducteurs dont les propos peuvent contenir des inexactitudes: “ Voici comment fut construite cette pyramide: d'abord une succession de degrés, que certains appellent krossai (krovssa") et d'autres bômides (bwmivda"); quand la pyramide fut construite sous cette forme, on éleva le reste des pierres à l'aide de machines faites de morceaux de bois courts; on les élevait de terre à la première assise des degrés;  Quand une pierre y était parvenue, on la mettait dans une autre machine qui était sur cette première assise ; de là on la montait par le moyen d'une autre machine, car il y en avait autant que d'assises ”. Plus récemment, les machines de levage sont devenues moins populaires au profit de la théorie des rampes, ce qui reste paradoxal car de nos jours, pour construire des bâtiments élevés on utilise des grues pour monter des charges rapportées sur le chantier par des véhicules empruntant parfois une rampe d'accès. Alors pourquoi les égyptiens auraient-ils procédé différemment de nous qui semblons avoir adopté les meilleures solutions? Il peut y avoir plusieurs raisons à cela. La première c'est que si des machines étaient effectivement présentes par le passé, ce sont les progrès techniques qui ont fait qu'elles ont finalement remplacé les animaux et les hommes qui sont devenus perplexes devant l'immensité des travaux réalisés par les égyptiens de l'époque (à titre d'exemple qui laisse songeur, c'est celui d'une dizaine de travailleurs égyptiens, qui de nos jours, utilisant uniquement des leviers et des cales, ont mis 45 minutes pour lever un bloc à environ 1m de hauteur). La seconde raison pourrait être que peu de gens sont séduits par une solution technique trop spécifique à des machines qui auraient peu de chance d'avoir été imaginées par les égyptiens. Il faudrait retrouver une de ces machines ou découvrir sa description sur des écrits ou dessins de l'époque. De nos jours encore on se demande ce que pourrait être la fameuse machine d'Hérodote qui fonctionnerait sur des degrés à définir. Les machines couramment envisagées sont à base de leviers [1] ou de balanciers, de treuils, d'engrenages, utilisant les ressources de l'époque: le bois, des cordes reliées ou non à des poulies fixes et peut-être des pièces métalliques en cuivre. Les poulies mobiles, le fer ou la roue étant considérées comme inexistantes à l'époque alors que pourtant, la roue était déjà utilisée par les chars Sumériens à l'époque de Khéops, 3000 ans avant J.C.. Ces machines peuvent être classées en deux catégories selon leur usage, celles qui fonctionnent par gradins [2] et celles qui fonctionnent par niveaux (sur plusieurs gradins, [3]). Dans le cas de la pyramide de Khéops il y a plus de 200 gradins constitués de blocs de 70cm de hauteur moyenne, et donc pour être efficaces, il faudrait imaginer des "machines" qui fonctionneraient sur plusieurs gradins à la fois. C'est une première indication sur la pyramide de Kheops qui aurait pu être construite d'abord comme la pyramide à degrés de Djoser. Si on fait une comparaison avec nos grues, cela semble ne pas aller dans le sens de machines faites de bois court, sauf si ces machines dans lesquelles on mettait les blocs, n'étaient que le contenant comme une plateforme ou un monte charge voire un traîneau tous 3 tirés par des cordes.

[1] P. Hodges [2] J. Baldridge [3] R. Wyatt

La théorie des rampes

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es théories envisageant des rampes sont devenues très populaires en dépit des divers problèmes que l'on peut rencontrer dans chacun des cas imaginés jusqu'à présent. La théorie des rampes semble prendre son essor avec F. Pétrie qui a retrouvé des vestiges de rampes en briques crues aux alentours de la pyramide de Meïdoum. Cela dit, il est difficile de conclure sur ces rampes qui auraient pu être des rampes d'accès au chantier sur une hauteur qui reste à retrouver. Les rampes peuvent être frontales, hélicoïdales, en tranchée, en zig-zag ou diagonales, internes ou tunnel, et latérales. Une rampe frontale allant jusqu'au sommet de la pyramide nécessiterait un volume trop important proche de celui de la pyramide à construire, et qu'il faudrait éliminer par la suite. Il en est de même dans le cas d'une rampe hélicoïdale qui envelopperait toute la construction. Les rampes en tranchée et les rampes tunnel, bien qu'intégrées dans la construction, souffrent de gros problèmes liés à la difficulté de circuler dans un milieu étroit souffrant d'un manque de lumière et d'aération. Il reste les rampes latérales qui feraient partie de l'édifice, mais semblent difficiles à mettre en œuvre. A l'exception des rampes latérales de Uvo Hölscher, les rampes envisagées dans la plupart des cas sont en pente douce, inférieure à 10 degrés, ce qui implique dans le cas de la pyramide de Khéops, des rampes pouvant atteindre le kilomètre. Une rampe en pente douce ne peut être envisagée que pour une hauteur raisonnable à définir. Les théories qui envisageraient des pentes élevées sont celles qui privilégient un passage de charges par les flancs ([1]→[8]) à condition de s'appuyer sur des blocs de pierre lisses ou un revêtement qui recouvrirait les blocs au fur et à mesure de la construction, mais il s'agit là plutôt d'un levage de charge que d'un halage. Certains auteurs ([1]-[9]-[10]) ont aussi imaginés des traîneaux qui circuleraient sur des rails et non plus sur le sol ou sur des rouleaux

[1] Franz Lohner [2] Louis Albertelli [3] Bernard Capet [4] Vincent Elissagaray [5] Bernd Motl [6] Patrick Sautereau [7] Elena Beatriz Piedra [8] Charles Rigano [9] J.P. Houdin, [10] E. Diomedi

Rampe frontale

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es vestiges de rampe frontale ayant été observés aux abords de la pyramide rhomboïdale de Meïdoum, il a été accepté depuis F. Petrie, l'idée de rampe frontale pour bâtir les pyramides. De nos jours encore, on continue d'envisager une rampe frontale pour construire la pyramide de Khéops. Mais pourquoi donc vouloir construire une rampe avec un volume si important pour la démonter ensuite? Ne vaut-il pas mieux utiliser une rampe dont le volume fera partie intégrante de la pyramide comme chez les sumériens ? Dans le cas de la rampe frontale semi-extérieure envisagée par J.P. Houdin pour la grande pyramide de Khéops, cette rampe de 325m de long, 43 mètres de haut et 7° d'inclinaison, peut tenir presque entièrement dans la diagonale de la grande pyramide de base carrée de 230m (325=230sqrt(2))

figure1: Rampe de J.P. Houdin contenue dans le volume de la pyramide

Rampe diagonale

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a rampe interne diagonale a déjà été introduite dans le paragraphe "rampe frontale". Cette rampe avait été étudiée et retenue par J. Rouseau qu'il qualifiait de rampe tunnel en zigzag. Si on revient sur la théorie de J.P. Houdin qui affirme que des rampes internes latérales ont été utilisées dans la pyramide de Khéops et que l'on s'intéresse au nombre de changements de direction, pour une même hauteur, il y aurait 21 tronçons chez Houdin contre environ 15 pour les rampes diagonales*. Qui dit changements de directions supplémentaires dit manipulations de blocs en plus et perte de temps.

figure1: Rampes internes diagonales ou tunnel en zigzag
figure2: Rampes de Houdin
* On peut démontrer qu’il existe un rapport √2 entre ces 2 valeurs

Les contrepoids

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u fait de la difficulté de soulever des charges ou de les tirer le long de pentes élevées telles que les flancs, un certain nombre d'auteurs ont imaginé des systèmes de contrepoids pour soulager les travailleurs ou limiter leur nombre. Dans le cas des "machines" de levage, les solutions envisagées sont généralement calquées sur des appareils à bascule, tandis que dans le cas du tractage, ce sont les charges et les contrepoids qui auraient circulé le long des flancs [1]→[3]-[6]-[7]. Certains auteurs ont pensé à des contrepoids de type humain [2]-[6]-[7], tandis que d'autres ont imaginé que les contrepoids auraient pu circuler à l'intérieur de la pyramide, dans un puits [3] ou dans la grande galerie de Khéops [4]-[5]. Ce qui aurait nécessité des cordes longues de plusieurs centaines de mètres. Les blocs de la pyramide de Khéops pouvant être très lourds comme les poutres de la chambre du roi, pour faire gravir une poutre de 60T sur une pente de 26°, il aurait fallu théoriquement le poids d'un millier de travailleurs ce qui est énorme! Basé sur l'idée d'effort fractionné, il aurait été possible d'utiliser un contrepoids fait de 18 blocs de 3 tonnes montés chacun par la force ou le poids de 45 hommes. Enfin, une théorie intéressante du fait de son principe reste celle du monte-charge incliné à contrepoids humain [6] qui est une sorte d'ascenseur incliné ou de funiculaire.
[1] Bernard Capet [2] Bernd Motl [3] Vincent Elissagaray [4] Elena Beatriz Piedra [5] Jean-Pierre Houdin [6] Patrick Sautereau [7] Louis Albertelli

Rampe assistée par un puits

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e paragraphe introduit la notion de rampe assistée par un puits. Ce dispositif a été envisagé par V. Ellisagaray qu'il qualifie de rampe linéaire à nacelle-contrepoids. Le schéma de principe est résumé dans la figure suivante: un chariot transportant une charge aborde une rampe, ce chariot est relié par des cordes au sommet de la pente à un plateau. Sur ce dernier, des hommes ou des animaux montent avec éventuellement des sacs de sable ou du matériel et constituent le contrepoids qui, si sa valeur est suffisante peut permettre au plateau de descendre du puits et au chariot de gravir la pente. Par exemple, pour une pente à 26° et une charge de poids P, il suffirait d'un contrepoids de 0.88P (voir la théorie dans le paragraphe "rampe douce, normale, forte").  En principe si l'on utilisait un contrepoids de type humain ou animal, on pourrait monter une charge sans effort. Dans la pratique, à moins d'envisager un énorme plateau ou alors de pratiquer l'effort fractionné, le contrepoids ne peut rester qu'une aide pour soulager les travailleurs dont la tâche serait de tirer ou pousser la charge, d'où la notion de rampe assistée. 

figure1: Schéma de principe de la rampe assistée par un puits

Rampe douce, normale, forte

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e paragraphe est important, car il va montrer que contrairement aux idées reçues, pour monter de manière efficace une masse à une hauteur donnée en utilisant une rampe, une rampe en pente douce (7°) ou normale (11°) n'est pas toujours avantageuse par rapport à une rampe en pente forte (26°). Ce résultat peut paraître surprenant au premier abord quand on sait qu'il est plus difficile pour une personne seule de tirer une charge lorsque la pente devient trop importante. Mais en ce qui concerne la construction des pyramides, comme il s'agit de monter un grand nombre de charges avec un grand nombre de travailleurs, c'est la répartition des ressources qui importe pour être le plus efficace possible.
Le raisonnement est le suivant: on peut montrer à partir de la deuxième loi de Newton que dans le cas d'un mouvement uniforme avec frottement le long d'une pente, la force nécessaire au déplacement d'une masse (un chariot chargé d'un bloc de pierre) est F(a,u)=P(sina+ucosa), u étant le coefficient de frottement, P le poids, et a l'angle de la pente. Pour monter cette masse à une hauteur h, il faut la tirer sur une rampe de longueur d(a)=h/sina. Plus l'angle augmente, plus la force à appliquer est grande et il faudra un plus grand nombre de travailleurs pour tirer la masse avec le même effort et la même vitesse. En revanche, la distance de traction sera réduite. Ainsi, pour un nombre de travailleurs fixé, la question légitime qui se pose est de savoir comment utiliser ces travailleurs pour monter le plus rapidement possible des masses à une hauteur donnée. Vaut-il mieux tirer plus de masses sur une distance plus longue, cas de l'angle a, ou moins de masses sur une distance plus courte avec possibilité de faire des allers-retours, cas de l'angle b ? (b>a).
on a: 
d(a)=h/sina et F(a,u)=P(sina+ucosa) 
d(b)=h/sinb et F(b,u)=P(sinb+ucosb) 
Le rapport des forces entre les cas b et a, c'est : F(b,u)/F(a,u)=[sinb+ucosb]/[sina+ucosa]. C'est à la fois, le rapport du nombre de masses tirées par trajet, n(a)/n(b), mais aussi le rapport du nombre de travailleurs utilisés dans les 2 cas pour tirer une masse avec la même vitesse et le même effort par travailleur Comme b>a et que les angles sont compris entre 0 et 90°, ce rapport est plus grand que 1. 
On a donc pour un trajet:
n(b)=n(a)F(a,u)/F(b,u)
n(b)=n(a)[sina+ucosa]/[sinb+ucosb] 
Le rapport des distances entre les cas b et a, c'est : d(b)/d(a)=sina/sinb. 
Comme b>a et que les angles sont compris entre 0 et 90°, ce rapport est inférieur à 1. Ce qui veut dire que pour r trajets de a on aura parcouru r*d(a)/d(b) = r*sinb/sina trajets de b, 
Au final, on aura tiré: 
r*n(a) masses dans le cas a 
r*n(b)*d(b)/d(a)=r*n(a)*z masses dans le cas b 
avec z = [sinb/sina][sina+ucosa]/[sinb+ucosb] 
Pour savoir quel cas est avantageux, il convient d'étudier z, le produit des rapports des forces et des distances. Ainsi, si z est plus grand que 1 alors on aura monté plus de masses avec la pente forte. La résolution de l'inégalité z>1 montre que z>1 si tanb>tana, ce qui est toujours le cas si b>a et b compris entre 0 et 90 degrés. C'est un résultat indépendant des forces de frottement et on peut donc conclure, que si on a les ressources suffisantes pour monter des masses, et que plusieurs allers-retours sont nécessaires, alors plus forte est la pente de la rampe, plus vite on aura monté les charges. Le cas particulier étant le cas où il n'y a pas de frottement (u=0), et dans ce cas le résultat ne dépend plus des angles a et b car z devient égal à 1. 
Cas concret, comparaison des pentes a=7° et b=26° dans le cas du tractage de blocs sur des chariots: Le rapport des forces (ou des travailleurs), c'est F(26°,0.5)/F(7°,0.5)=1.43. Le rapport des distances, c'est sin(7)/sin(26)=1/3.6. Et z=3.6/1.43=2.5 Ainsi si, l'on dispose de 1430 travailleurs, et qu'il faille 100 travailleurs pour monter un bloc de 5T sur une rampe de 7°, alors en 10 allers-retours on pourra monter 143 blocs de 5T soit 715T. Dans le cas de la rampe de 26°, il faudra 10 groupes de 143 travailleurs pour monter 50T par allers-retours, et comme on aura le temps de faire 36 trajets (10*3.6), on aura monté au final 1800T (50*36), soit 2.5 fois plus. Notez que l'on a pris un coefficient de frottement de 0.5 qui est réaliste, car c'est celui du bois sur de la pierre à sec. On peut difficilement imaginer avoir u=0.1 (au mieux u=0.3), mais même dans ce cas improbable, z=3.6/2.4=1.5 ce qui représente un gain de masse encore non négligeable. 

Le cas extrême ou b=90° ne correspondant pas vraiment à une rampe, il sera abordé dans le paragraphe "Les puits". Toujours est-il que nous venons de prouver qu'il serait bien plus efficace d'utiliser des rampes fortes plutôt que des rampes douces. Un problème subsiste cependant, comment mettre en pratique cette théorie? En effet, ceux qui ont gravi la grande galerie de la pyramide de Khéops savent combien il est difficile de progresser sur une pente à 26°, voire plus importante. Il faut alors envisager deux possibilités, soit les travailleurs ne suivent pas la pente, ce qui limite la distance de traction car il faudrait des cordes très longues, soit ils suivent la pente et il faut alors la présence d'escaliers de part et d'autre de la rampe pour pouvoir tracter la charge. La pente de nos escaliers actuels étant d'environ 25°, nous y circulons aisément, en revanche pour des pentes plus importantes, l'escalier deviendra à son tour impraticable pour pouvoir tirer correctement les charges. On s'aperçoit alors que si l'on souhaite vraiment utiliser des rampes pour construire une pyramide, il faut faire des compromis.

figure1: rampe à 26° avec escaliers latéraux

Les sumériens qui connaissaient la roue dès 3000 ans avant J.C. avaient l'habitude de faire des constructions imposantes en briques appelées ziggurat et dotées de plusieurs rampes d'accès en forte pente avec escaliers faisant partie intégrante de l'édifice, ainsi que des façades à encoches. Les égyptiens s'en sont peut être inspirés pour leur propres édifices en pierres, mais cette fois en cachant les rampes dans la construction.

figure2: Ziggurat sumérien de Ur, partie supérieure du temple manquante

Il est intéressant de voir en comparant les 2 figures, que les escaliers de ce site sumérien, qui font partie intégrante de l'édifice, ont une pente forte et non faible.

Les puits

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'utilisation de puits dans les tombes égyptiennes est fréquent voire systématique, c'est une des raisons pour laquelle il faut envisager les puits comme un possible passage des charges levées ou des contrepoids. Dans le cas des mastabas, moins hauts que les pyramides (une dizaine de mètres de hauteur) avec des pierres souvent moins lourdes, on observe plusieurs choses: des murs inclinés (entre 70 et 90°), un puits et parfois des fausses portes proches des murs qui font penser à des puits semi-ouverts à 3 côtés. Si on reprend l'étude réalisée dans le paragraphe "Rampe douce, normale, forte", le puits c'est le cas extrême pour lequel l'angle b=90°. Dans ce cas précis, la fonction z = [1/sina][sina+ucosa] = 1+u/tana. Il est intéressant de noter que u=tana représente la condition d'équilibre d'un solide sur une pente; quelle que soit la valeur de l'angle a<b, z>1, ce qui signifie que le puits, c'est le cas le plus favorable rencontré en terme d'efficacité par travailleur. Par exemple, si l'on compare un puits à une pente avec a=7°, alors avec un coefficient u de 0.5, le rapport z=5, c'est-à-dire que l'on monte 5 fois plus rapidement du poids avec le puits. C'est pourquoi, il serait logique de se dire que les pierres des massifs auraient été levées le long des faces ou par des puits et qu'il en serait de même pour les pyramides. Dans le cas de la pyramide de Khéops, ce qui reste surprenant, c'est que le seul auteur à ma connaissance qui ait envisagé un puits pour hisser des blocs de pierre est P. C. Sundt (2010) qui a imaginé un ascenseur actionné par la force humaine qui partirait du niveau de la chambre du roi (45m de hauteur) en direction du sommet. Dans le cas de la pyramide de Khéops, la hauteur de levage étant importante (146m), envisager un puits unique d'une centaine de mètres de hauteur n'est pas réaliste. C'est pour cela qu'il faut considérer maintenant de lever des charges en plusieurs fois, c'est-à-dire en utilisant plusieurs puits dans la structure voire des puits semi-ouverts (à 3 côtés) le long de massifs constituant différents niveaux de la pyramide à définir. Ce qui revient à dire que pour construire une pyramide élevée telle que la pyramide de Khéops, il faut d'abord réaliser une pyramide à degrés et fractionner les efforts pour soulever les charges le long des faces. C'est une conclusion logique et qui avait déjà été retenue par des théoriciens comme G. Dormion, inspirés par l'histoire de l'évolution des tombeaux égyptiens, dans laquelle les pyramides à degrés ont précédé les pyramides à faces lisses.

Micro-gravimetrie

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es mesures de microgravimétrie EDF (1980) ont été rendues populaires grâce à J.P. Houdin (2007) qui justifie l'existence de ses rampes entourantes internes ou tunnel à partir de ces mesures et des simulations thermiques de DASSAULT (2008). Nous allons voir ici, le petit détail qui fait que ces mesures ne constituent pas une justification de sa théorie. Un dessin valant mieux qu'une grande explication vous trouverez en figure1, le résultat des mesures de micro-gravimétrie vu de dessus, dans lequel on peut voir, que les rampes internes latérales constituent des carrées inclinés par rapport à la base de la pyramide, tandis que les résultats de mesure montrent bien des zones carrés parallèles à la base ce qui on le verra deviendra un moyen parmi d'autres de trouver les hauteurs des massifs cachés de la pyramide de Khéops. Cela dit, il faudrait sans doute effectuer d'autres mesures, plus précises cette fois.

figure1: Mesures de micro-gravimétrie (rouge=forte densité, vert=faible densité)

En ce qui concerne les simulations thermiques, ces carrés inclinés par rapport à la base de la pyramide sont un détail qui n'a pas dû échapper aux ingénieurs de DASSAULT, et c'est peut être pour cela qu'ils n'ont pas montré leurs résultats par une vue de dessus comme montré ci-après.

figure2: Simulations thermiques sans et avec rampes

Que peut-on vraiment comprendre des mesures de micro-gravimétrie? Déjà qu'elles peuvent s'expliquer à partir des mesures de la taille des blocs réalisées par F. Petrie (1883). Pour s'en rendre compte, une comparaison de ces 2 types de mesures est faite dans la figure suivante, figure dans laquelle les mesures de F. Petrie représentées à droite, ont été effectuées dans le coin Nord-Est mais ont été symétrisées dans les 4 directions, ce qui reste une hypothèse raisonnable, l'empilement des blocs n'ayant pu se faire que niveau par niveau et non pas de manière chaotique, ce qui a été confirmé d'une certaine manière par les mesures du coin Sud-Ouest de F. Pétrie. On peut ainsi remarquer qu'il existe une corrélation entre les mesures de densité et la taille des blocs utilisés. Cela s'explique par le fait, que les différences de densité mesurées doivent correspondre avec le nombre d'interstices présents entre blocs, car si les blocs sont petits, ils sont plus nombreux, de même que les interstices entre eux et il y a potentiellement plus de vides présents, et donc une densité mesurée plus faible. De la même manière, si les blocs sont plus gros c'est le contraire qui se passe et la densité mesurée devient plus forte. On peut donc en conclure que les mesures de micro-gravimétrie ne sont pas suffisantes pour prouver la théorie de J.P. Houdin.

figure3: Comparaison mesures micro-gravimétrie et mesures taille des blocs

Exploitation des mesures de F. Petrie

L
e paragraphe précédent expliquait les résultats de mesures de micro-gravimétrie en les comparant aux mesures de la taille des blocs effectuées par F. Pétrie. Les mesures de F. Pétrie vont nous permettre maintenant de différencier les différents niveaux de construction. La figure 1 suivante montre le résultat de ses mesures. Chaque mesure correspond à l'un des 203 gradins de la pyramide de Khéops, sur une hauteur totale de 146m avec une hauteur moyenne de bloc de 70cm. Cette figure montre qu'il y a une nette tendance à avoir des maximums suivis d'une décroissance jusqu'à un minimum précédant le maximum suivant. Cette transition abrupte d'un minimum à un maximum pourrait signifier la présence d'un des niveaux d'une pyramide à degrés.

figure1: Mesures de F. Pétrie, taille des blocs par gradin

Des mesures de F. Pétrie, il est en premier lieu difficile de choisir tous ces niveaux car il y a de nombreux pics de taille variable, quelques grands maximums et beaucoup d'autres plus petits. Ce qui permet de choisir au mieux ces niveaux, ce sont les maximums principaux qui, on le constate, suivent la tendance générale de décroissance de la taille des blocs avec l'augmentation du nombre de gradin (de 1m45 à 52cm). C'est l'objet des résultats des figures 2 à 4 et l'on peut ainsi trouver 7 niveaux principaux situés à environ 0, 30, 70, 90, 106, 126, 146m de hauteur et constater sur la figure 4 une décroissance linéaire de la hauteur des blocs en fonction de la hauteur des niveaux principaux (pente -0.7). On ne retrouve cependant pas dans les niveaux principaux les niveaux de la chambre de la reine et du roi (21m et 43m), mais des maximums secondaires proches à 18m et 38m.

figure2: Mesures rapportées à la hauteur de la pyramide
figure3: Maximums des la figure 2
figure4: Maximums principaux

Les figures 5, 6 et 7 représentent la pyramide de Khéops telle qu'elle aurait pu être avant recouvrement. Dans la figure5 sont représentés tous les maximums, principaux et secondaires, dans les figures 6 et 7, ne sont représentés que les maximums principaux qui pourraient correspondre à un empilement de massifs.

figure5: Représentation des niveaux des maximums
figure6: Représentation des niveaux des maximums principaux
figure7: Niveaux principaux avec une pente à 70° (70° comme dans la pyramide de Meïdoum)
Enfin la figure8 compare les mesures de micro-gravimétrie EDF avec les maximums principaux de la figure6 (vue de dessus cette fois) et permet de voir qu'il existe une corrélation entre les mesures d'EDF et celles de F. Pétrie.

figure8: Comparaison des mesures de micro-gravimétrie et des maximums principaux

L'exploitation des mesures de F. Pétrie précédente n'a pas pris en compte les maximums secondaires et en particulier ceux qui sont si proches qu'ils ne sont séparés que par un minimum (voir sur la figure2). On peut par exemple distinguer 3 points singulier: 18, 38, 54 mètres, on ne sait pas exactement ce qu'il se passe à ces hauteurs si ce n'est que cela doit avoir un rapport avec la géométrie intérieure de la pyramide. En effet, les deux premiers points correspondant à peu de chose près à la hauteur des chambres de la reine et du roi.

figure9: maximums extraits des mesures de F. Petrie
En prenant en compte cette fois les points singuliers et en observant les mesures de microgravimétrie, les niveaux de construction de la pyramide à degrés on ne retient au final que les niveaux suivants:0, 18, 30, 38, 54, 70, 90, 106, 126, 146 mètres. Et en effectuant une correction due à la taille des blocs aux niveaux sélectionnés, les vraies hauteurs seraient: 0, 17, 29, 37, 53, 69, 89, 105, 125, 146m. Comme on peut le voir sur la figure10, cela renforce la corrélation entre les mesures d'EDF et celles de F. Pétrie. 

figure10: Comparaison des mesures de micro-gravimétrie et des maximums principaux et points singuliers des mesures de F.P.
figure11: Pyramide à degrés déduite des mesures de F.P. (max. princip. et singuliers)

figure12: pyramide reconstituée à partir des mesures de F. Petrie

Exploitation des mesures Laser

D
es mesures laser [1] ont permis de mettre en évidence certaines anomalies dans la pyramide de Khéops.

figure1: Mesures laser de W. Neubauer

De ces mesures et des anomalies observées (parties marron clair sur fond noir qui représentent des déficits en pierre), il semble apparaître différents niveaux. Ce qui reste remarquable c'est qu'en reprenant les niveaux principaux trouvés à partir des mesures de F. Pétrie, ces derniers s'intègrent assez bien avec ceux suggérés par les mesures laser 0, 17, (29), 37, 53, 69, 89, 105, 125, 146m) comme dans la figure2 suivante:


figure2: niveaux de F. Petrie vs mesures laser
En revanche, si on revient sur la figure2, ce qui reste surprenant dans les "anomalies" laser en marron sur fond noir, (présentes sur chacune des faces), c'est qu'elles n'aient pas été détectées par les mesures de microgravimétrie d'EDF alors cela veut dire qu'il ne peut s'agir que d'un agencement différent des blocs. Pour être plus précis, il s'agit d'un creusement des faces avec une saignée au centre et donnant lieu au phénomène d'apothème. Ce type de configuration géométrique et d'"anomalie" pouvant être visible en journée comme sur l'image suivante.

figure3: Photographie aérienne de la pyramide de Khéops

D'après W. Neubauer et al, ces "anomalies", seraient dues à la façon de construire la pyramide ce qui est une conclusion tout à fait pertinente et qui permettrait d'exclure la théorie des rampes entourantes (internes ou pas) au profit des récits d'Hérodote (levage des charges par niveaux). Comme supposé dans le paragraphe suivant "Transformation finale", il se pourrait que la pyramide de Khéops ait été construite en même temps par 8 équipes (2 par face, les limites de leurs actions étant définies entre la partie centrale d'une face et ses coins), avec peut être une autre équipe à chaque niveau chargée de lever les blocs sur des traîneaux en guise de palettes  à l'aide de cordes et de les distribuer soit au niveau supérieur, soit aux équipes latérales 

[1] W. Neubauer et al: CIPA 2005 symposium: Combined high resolution laser scanning and photogrammetrical documentation of the pyramids at Giza

Grille de Travail

L
es égyptiens ont très certainement utilisé un plan de la pyramide de Khéops avant de la construire. Mais à quelle échelle ont ils travaillé? Pour y répondre, nous allons nous inspirer des travaux de Ole Jorgen Bryn [1], et au lieu de considérer le chiffre 7 comme diviseur 'magique' nous allons utiliser plutôt le chiffre 8 puisque comme on l'a trouvé il y aurait 7 massifs et non 6. La pyramide étant haute de 280 coudées royales (RC) avec une demi-base de 220 coudées royales, divisée par 8 cela fait une grille faite de rectangles de 27.5RCx35RC soit 192.5x245 palms (au lieu de 220x280 palms), et un rapport de 14/11 (35/27,5).

 

Les niveaux se précisent donc toutes les 35 coudées royales (18.3m) soit en arrondissant en mètres: (0), 18, 37, 55, 73, 91, 110, 128, (146m) ce qui reste proche des niveaux déduits des mesures de F. Petrie ( 0, 17, (29), 37, 53, 69, 89, 105, 125, (146m)), à une exception près, le niveau à 29m de hauteur qui ne ressort pas, mais qu'on ne peut ignorer. Pour expliquer la présence de ce niveau, il est possible d'imaginer une rampe d'accès de 29m de hauteur comprise à l'intérieur de la pyramide de Khéops. Sur la figure précédente avec une hauteur de 35 coudées royales, les flancs des massifs reposent sur 10 coudées royales, ce qui fait une pente similaire à la pyramide de Meïdum, c'est-à-dire plus de 70 degrés. Les parties blanches de la vue en coupe représentent une éventuelle maçonnerie complémentaire dans le cas où la pyramide aurait subi une transformation comme dans le cas de la pyramide de Mykérinos, mais il n'est pas impossible d'avoir une pyramide parfaite construite par tranches et qui n'aurait subi aucune transformation. Dans ce cas la ligne de pente devrait affleurer la ligne qui relie les nez de marches. Si l'on applique cette grille à ce qui est connu de la pyramide de Kheops, on obtient la figure suivante:
Vue en coupe de la pyramide avec grille
La figure précédente montre que les conduits de la chambre de la reine s'arrêtent à proximité de la paroi du niveau 4 de la pyramide à degrés. Ce n'est que lorsque les égyptiens ont commencé à transformer cette pyramide en pyramide à faces lisses que ces conduits ont été bouchés alors que les conduits de la chambre du roi ont été prolongés. Cela pourrait confirmer l'hypothèse que ces conduits orientés vers les étoiles ont bien joué le rôle de conduits d'aération.

[1] Retracing Khufu’s Great Pyramid.The “diamond matrix” and the number 7

Les poutres de la chambre du roi

P
our monter des pierres de taille moyenne sur les massifs un contrepoids n'est pas nécessaire, ce sont les poutres et chevrons de la chambre du roi qui posent problème car ces pierres peuvent peser jusqu'à 60T. Pour pallier à ce problème J.P. Houdin avait imaginé la fameuse rampe frontale de 350m de longueur et 43m de haut (niveau de la chambre du roi) et utilisé la grande galerie comme passage du contrepoids ce qui aiderait à monter les pierres les plus lourdes. Cette solution bien que logique reste difficile à admettre, car c'est envisager une rampe temporaire gigantesque seulement pour placer des pierres qui resteront invisibles aux yeux de tous. En revanche, il est bien plus crédible d'envisager une rampe en pente forte de 26° faisant partie intégrante de la pyramide en utilisant la grande galerie comme passage de contrepoids ou plus probable de charges levées (figure 1 cas 1)*, ou alors d'utiliser un puits à proximité de la chambre de la reine comme passage de contrepoids comme envisagé par V. Elissagaray (figure 1 cas 2). Ceci permettrait de monter les poutres ou les blocs au niveau de la chambre du roi. Les poutres pouvant ensuite être élevées verticalement petit à petit durant la construction ou encore à l'aide du puits.

figure1: Grande galerie comme passage des poutres

Dans le cas d'un levage de pierres le long des murs ou par des puits semi-ouverts pour atteindre les massifs 3 et 4 sans utiliser de contrepoids ou machine de levage, il faudrait utiliser 6OT/15=4000 hommes (un homme pouvant tirer en moyenne 15kgs et occuper 0,75m2) ce qui représente une aire de 3000m2, ou une surface carrée 54m*54m = 104RC*104RC = 3.8cases*3.8cases (la grille de travail horizontale étant de 27.5RC).

figure2: levage d'une poutre de 60T

illustration de source inconnue

Pour lever les poutres entre les massifs 3 et 4, il faudrait envisager non pas un changement de plan mais utiliser un ordre de construction des massifs défini à l'avance pour le passage des poutres de la chambre du roi afin d'utiliser successivement 4 paliers d'au moins 3.8 cases de côté comme sur la figure3:

figure3: Massifs 1 à 4 
figure4: Etapes de construction des massifs

A titre de comparaison, pour tirer la même poutre le long d'une pente de 12° et 14m de largeur, il faudrait utiliser un millier d'hommes environ. Ces hommes occuperaient une portion de la pente d'environ 60m pour un dénivelé de 11m comme montré sur la figure5 suivante. Ceci est encore plus difficile à imaginer que la solution précédente à cause du manque de place et des changements de direction. Dans ce cas, M. Michel propose comme solution d'utiliser les rampes supérieures et inférieures et un dispositif dans les coins pour pouvoir tirer la poutre.

figure5: Tirage de la poutre le long d'une rampe (le point d'attache est symbolique ici)

* car la présence d'une marche en haut de la grande galerie fait penser à une butée qui stopperait le levage de charges au niveau de la chambre du roi, à au moins 41m du sol (ce qui représenterait environ 70% du volume de la pyramide).

Transformation finale

Q
u'est ce que la transformation finale? Les résultats précédents ont montrés que la pyramide de Khéops aurait d'abord été construite comme une pyramide à degrés dont nous avons pu retrouver les massifs de trois manières différentes. Comme les autres pyramides, elle aurait pu être construite en tranches avec un noyau central avant d'être transformée en pyramide à faces lisses. Cette transformation dite finale comprend logiquement 2 étapes : la pose des blocs des différents gradins (>203) puis celle des blocs de parement.



figure1: Structure à degrés en tranches


Quelle est l'importance des massifs? Pour construire les massifs, les pierres utilisées auraient été levées via des puits internes aux massifs ou bien le long de murs légèrement inclinés pouvant atteindre environ 18,3 mètres de hauteur. Le volume de pierres ainsi apporté représentant plus de 80% du volume de la pyramide total [1].

Qu'en est-il des 20% de pierres restantes? La géométrie particulière de la pyramide de Khéops observée lors des mesures laser (les 8 faces) suggère qu'il aurait pu y avoir 8 chantiers en parallèle pour chacun des 7 niveaux, ce qui fait 56 chantiers possibles. Les mesures de F. Pétrie montrant une répartition des blocs des gradins bien particulière, une diminution de la taille des blocs avec la hauteur et une décroissance linéaire de la taille des plus gros blocs, d'un massif à un autre, la gestion de l'acheminement des blocs devient très compliquée, ce qui n'exclut pas les 56 chantiers en parallèle mais suggère que les gradins auraient été construits des massifs supérieurs vers les massifs inférieurs pour des raisons évidentes d'accessibilité. Le pyramidion ayant pu toutefois être posé à la fin de manière symbolique (l'a t'il été un jour?).

Et les pierres de parement? Pour rendre la pyramide lisse, on aurait pu avoir le même cheminement des pierres de parement [2]. La disposition de ces pierres montrant en effet qu'elles s'appuient sur les pierres de niveau inférieur, mais sont aussi maintenues par les pierres supérieures. C'est sans doute pour cela que le parement du sommet de la pyramide de Kephren est encore visible de nos jours tandis que le parement inférieur a disparu. Alors, les égyptiens ont-ils commencé la pose du parement en partant du haut ou bien du bas? Si on considère qu'il est périlleux d'oeuvrer sur un revêtement cimenté ou de calcaire fragile cela nous amène à penser que les égyptiens travaillaient en partant du haut, d'un autre côté comme il y a peut d'espace pour faire tenir les pierres, les égyptiens auraient dû commencer par le bas. De ces deux contradictions, il ressort que comme les gradins, les pierres de parement étaient posées des massifs supérieurs vers les massifs inférieurs, mais en posant les pierres en partant de la base de chaque massif. Ce qui reste conforme avec les propos d'Hérodote: "On commença donc par revêtir et perfectionner le liant de la pyramide ; de là on descendit aux parties voisines, et enfin on passa aux inférieures, et à celles qui touchent la terre.".



Quel a été le cheminement des pierres d'un massif à un autre? Difficile de travailler beaucoup en parallèle pour lever des pierres sur 18m de hauteur environ. Pour ne pas perturber les chantiers inférieurs et supérieurs en cours, le plus simple serait d'envisager un chemin commun aux niveaux. Il semblerait logique de penser à partir des mesures laser, que c'est au milieu des faces et peut être vers les coins des massifs que seraient passées les dernières pierres recouvrant la pyramide à degrés. En effet, si ces endroits ont été les derniers avoir été remplis, ils sont devenus difficiles d'accès pour les dernières pierres et cela pourrait expliquer les tranchées centrales observées (en rouge) et le creusement des faces (en jaune et vert). Les coins des massifs auraient pu être les derniers à avoir été remplis, le contrôle de la pente pouvant être solutionné par le positionnement des massifs de la pyramide à degrés.

Résultat laser de W. Neubauer et al 
(du moins dense au plus dense, le code des couleurs est le suivant: rouge, jaune, vert, cyan)


Quels sont les systèmes envisageables pour monter les pierres d'un massif à un autre? Les systèmes mécaniques utilisés sont trop spécifiques pour être étudiés ici et ont déjà été évoqués dans le paragraphe "Les machines de levage". On peut quand même citer F. Löhner et son système de rouleau de corde.

Levage le long d'une rampe en brique crue selon F. Löhner


De plus, si on regarde l'évolution des moyens de levage depuis l'antiquité, il est peu probable d'envisager un système mécanique permettant de réduire de beaucoup le nombre d'hommes pour lever les blocs d'un massif à l'autre. De manière générale, il n'y a que deux manières de procéder: soit en acheminant les blocs à partir de l'intérieur de la pyramide soit en les acheminant à partir de l'extérieur. La figure suivante propose un levage des blocs par un puits central pour ériger les massifs et effectuer la transformation finale. C'est le système le plus simple à envisager mais difficilement réalisable, dangereux et peu cohérent avec la disposition des pièces internes à la pyramide de Khéops.


Transformation en partant de l'intérieur de la pyramide

On pourrait aussi envisager d'avoir plusieurs puits à la place du puits central. Ceci dit, la figure suivante montre un puits que l'on peut qualifier de semi-ouvert.

Puits semi-ouvert (source inconnue)

En ce qui concerne la seconde manière de procéder, on ne peut retenir la théorie des rampes en pente faible comme beaucoup l'imaginent car il a été vu que pour accéder à des hauteurs importantes, il est plus efficace de lever une charge que de la tirer. En revanche, utiliser des rampes en pente forte (26°) faisant partie de la pyramide ou bien adossées aux massifs peut être envisageable comme imaginé par Uvo Hölscher, ou bien Franck Müller-Römer ("Wie entstanden die Pyramiden? Neueste Forschungen zur Erbauung der Pyramiden des Alten Reiches" - 2013). Là où F. Müller-Römer pourrait se tromper c'est qu'il considère, pour lisser la pyramide, que son système est éphémère et ne fait pas partie de la pyramide. Cela dit en observant toutes les pyramides connues dont celle de Mykerinos qui comporte une brèche importante, il n'existe nulle part de trace de rampe latérale.


Système de Franck Müller-Römer
Système UVO Hölscher avec rampes non démontables de 7,2m de large

Comment ont été constitués les gradins? Le moyen le plus simple et le plus efficace c'est le travail en parallèle. Pour lever un bloc d'un gradin à un autre, il suffirait d'utiliser des équipes d'une dizaine d'hommes équipés de leviers et de cales (M. Isler et P. Hodges).

Et le revêtement? Même organisation, travail différent

Massifs avec revêtement fictif côté NE seulement

[1] En effet, le volume de la pyramide de Khéops est donné par la formule V=Base*Hauteur/3=(230*230*146)/3=2 574 467 m3. En reprenant les hauteurs trouvées dans le paragraphe "Exploitation des mesures de F. Pétrie" c'est à dire des massifs superposés aux hauteurs 18, 30, 38, 54, 70, 90, 106, 126 dans le cas des maximums principaux avec points singuliers, on a les calculs suivant (valeurs mesurées sur une représentation 3D de ces niveaux):
Vmaxsing = 200*200*18 + 184*184*12 + 170*170*8 + 145*145*16 + 120*120*16 + 88*88*20 + 63*63*16 + 32*32*20 =720 000 + 406 272 + 231 200 + 336 400 + 230 400 + 154 880 + 63 504 + 20 480 = 2 163 136 = 84%

[2] En calcaire de Tourah selon JP Houdin ou cimenté selon M.W. Barsoum qui, inspiré par J. Davidovits, envisage une pyramide hybride utilisant à la fois des pierres moulées en surface et sculptées à l'intérieur (avec un sommet "moulé")