Rampe douce, normale, forte

C
e paragraphe est important, car il va montrer que contrairement aux idées reçues, pour monter de manière efficace une masse à une hauteur donnée en utilisant une rampe, une rampe en pente douce (7°) ou normale (11°) n'est pas toujours avantageuse par rapport à une rampe en pente forte (26°). Ce résultat peut paraître surprenant au premier abord quand on sait qu'il est plus difficile pour une personne seule de tirer une charge lorsque la pente devient trop importante. Mais en ce qui concerne la construction des pyramides, comme il s'agit de monter un grand nombre de charges avec un grand nombre de travailleurs, c'est la répartition des ressources qui importe pour être le plus efficace possible.
Le raisonnement est le suivant: on peut montrer à partir de la deuxième loi de Newton que dans le cas d'un mouvement uniforme avec frottement le long d'une pente, la force nécessaire au déplacement d'une masse (un chariot chargé d'un bloc de pierre) est F(a,u)=P(sina+ucosa), u étant le coefficient de frottement, P le poids, et a l'angle de la pente. Pour monter cette masse à une hauteur h, il faut la tirer sur une rampe de longueur d(a)=h/sina. Plus l'angle augmente, plus la force à appliquer est grande et il faudra un plus grand nombre de travailleurs pour tirer la masse avec le même effort et la même vitesse. En revanche, la distance de traction sera réduite. Ainsi, pour un nombre de travailleurs fixé, la question légitime qui se pose est de savoir comment utiliser ces travailleurs pour monter le plus rapidement possible des masses à une hauteur donnée. Vaut-il mieux tirer plus de masses sur une distance plus longue, cas de l'angle a, ou moins de masses sur une distance plus courte avec possibilité de faire des allers-retours, cas de l'angle b ? (b>a).
on a: 
d(a)=h/sina et F(a,u)=P(sina+ucosa) 
d(b)=h/sinb et F(b,u)=P(sinb+ucosb) 
Le rapport des forces entre les cas b et a, c'est : F(b,u)/F(a,u)=[sinb+ucosb]/[sina+ucosa]. C'est à la fois, le rapport du nombre de masses tirées par trajet, n(a)/n(b), mais aussi le rapport du nombre de travailleurs utilisés dans les 2 cas pour tirer une masse avec la même vitesse et le même effort par travailleur Comme b>a et que les angles sont compris entre 0 et 90°, ce rapport est plus grand que 1. 
On a donc pour un trajet:
n(b)=n(a)F(a,u)/F(b,u)
n(b)=n(a)[sina+ucosa]/[sinb+ucosb] 
Le rapport des distances entre les cas b et a, c'est : d(b)/d(a)=sina/sinb. 
Comme b>a et que les angles sont compris entre 0 et 90°, ce rapport est inférieur à 1. Ce qui veut dire que pour r trajets de a on aura parcouru r*d(a)/d(b) = r*sinb/sina trajets de b, 
Au final, on aura tiré: 
r*n(a) masses dans le cas a 
r*n(b)*d(b)/d(a)=r*n(a)*z masses dans le cas b 
avec z = [sinb/sina][sina+ucosa]/[sinb+ucosb] 
Pour savoir quel cas est avantageux, il convient d'étudier z, le produit des rapports des forces et des distances. Ainsi, si z est plus grand que 1 alors on aura monté plus de masses avec la pente forte. La résolution de l'inégalité z>1 montre que z>1 si tanb>tana, ce qui est toujours le cas si b>a et b compris entre 0 et 90 degrés. C'est un résultat indépendant des forces de frottement et on peut donc conclure, que si on a les ressources suffisantes pour monter des masses, et que plusieurs allers-retours sont nécessaires, alors plus forte est la pente de la rampe, plus vite on aura monté les charges. Le cas particulier étant le cas où il n'y a pas de frottement (u=0), et dans ce cas le résultat ne dépend plus des angles a et b car z devient égal à 1. 
Cas concret, comparaison des pentes a=7° et b=26° dans le cas du tractage de blocs sur des chariots: Le rapport des forces (ou des travailleurs), c'est F(26°,0.5)/F(7°,0.5)=1.43. Le rapport des distances, c'est sin(7)/sin(26)=1/3.6. Et z=3.6/1.43=2.5 Ainsi si, l'on dispose de 1430 travailleurs, et qu'il faille 100 travailleurs pour monter un bloc de 5T sur une rampe de 7°, alors en 10 allers-retours on pourra monter 143 blocs de 5T soit 715T. Dans le cas de la rampe de 26°, il faudra 10 groupes de 143 travailleurs pour monter 50T par allers-retours, et comme on aura le temps de faire 36 trajets (10*3.6), on aura monté au final 1800T (50*36), soit 2.5 fois plus. Notez que l'on a pris un coefficient de frottement de 0.5 qui est réaliste, car c'est celui du bois sur de la pierre à sec. On peut difficilement imaginer avoir u=0.1 (au mieux u=0.3), mais même dans ce cas improbable, z=3.6/2.4=1.5 ce qui représente un gain de masse encore non négligeable. 

Le cas extrême ou b=90° ne correspondant pas vraiment à une rampe, il sera abordé dans le paragraphe "Les puits". Toujours est-il que nous venons de prouver qu'il serait bien plus efficace d'utiliser des rampes fortes plutôt que des rampes douces. Un problème subsiste cependant, comment mettre en pratique cette théorie? En effet, ceux qui ont gravi la grande galerie de la pyramide de Khéops savent combien il est difficile de progresser sur une pente à 26°, voire plus importante. Il faut alors envisager deux possibilités, soit les travailleurs ne suivent pas la pente, ce qui limite la distance de traction car il faudrait des cordes très longues, soit ils suivent la pente et il faut alors la présence d'escaliers de part et d'autre de la rampe pour pouvoir tracter la charge. La pente de nos escaliers actuels étant d'environ 25°, nous y circulons aisément, en revanche pour des pentes plus importantes, l'escalier deviendra à son tour impraticable pour pouvoir tirer correctement les charges. On s'aperçoit alors que si l'on souhaite vraiment utiliser des rampes pour construire une pyramide, il faut faire des compromis.

figure1: rampe à 26° avec escaliers latéraux

Les sumériens qui connaissaient la roue dès 3000 ans avant J.C. avaient l'habitude de faire des constructions imposantes en briques appelées ziggurat et dotées de plusieurs rampes d'accès en forte pente avec escaliers faisant partie intégrante de l'édifice, ainsi que des façades à encoches. Les égyptiens s'en sont peut être inspirés pour leur propres édifices en pierres, mais cette fois en cachant les rampes dans la construction.

figure2: Ziggurat sumérien de Ur, partie supérieure du temple manquante

Il est intéressant de voir en comparant les 2 figures, que les escaliers de ce site sumérien, qui font partie intégrante de l'édifice, ont une pente forte et non faible.